Vivre L’Autisme en Afrique

Vivre l’autisme, C’est comme découvrir un monde parallèle.

Le savoir a beaucoup de vertus et sa seule tare est l’absence de retour en arrière; à l’image des grands maitres de l’humanité (Bouddha, Christ…) le savoir sauve autant qu’il condamne.

« Je ne me sens pas forcément capable d’en parler », je me reconnais dans ces mots d’une interview d’ Helene de Fougerolles (Actrice célèbre, Mère d’une enfant autiste sévère de 17ans qui a écrit un livre sur son vécu « T’inquiètes pas maman, ca va aller ») ; malgré cela prendre ce courage de m’exposer très tôt (sur ce blog ou dans ma vie) et parler de l’autisme de mon enfant a été libérateur. J’ai ainsi acté une forme de normalité et me suis libérée en partie de la culpabilité qui accompagne tout les parents concernés.

Mieux, j’ai pu orienter, donner la main à quelques mères; car oui malheureusement, jusqu’à présent c’est plus les femmes qui prennent le courage de chercher des réponses, peut-être parcequ’aussi dans ce monde on incrimine plus la mère dans ce qui arrive à son enfant et que dans la majorité des cas, elle est celle qui se retrouve à assumer ces responsabilités extra-ordinaires au quotidien.

Cela n’a pas de prix d’avoir une main tendue ou un phare qui éclaire le chemin à suivre quand on est perdu.

Le Doute

Ce regard qui ne te fixe pas dans les yeux.. Cette absence de réaction quand on l’appelle, donnant l’impression qu’il n’entend pas parfois.. Cette marche sur la pointe des pieds.. Certains de ses repas qu’il rejette.. Cette obsession des voitures et des écrans.. Cette absence de parole construite.. Ce manque d’interactions quand des inconnus (de lui) le portait.. Très tôt, bien avant ses 15mois, j’ai eu un gros doute. Et aussi vite, j’en ai parlé à la personne que mon fils préférait à cette époque, mon père, son grand-père. Ce dernier avait ses habitudes avec son premier petit-fils et celles-ci semblaient différentes, il avait d’ailleurs commencé à lui dire à son retour du travail: « je t’appelle et tu ne me réponds pas, après tu vas venir quand ça te chante » mais ne cessant jamais de le stimuler. J’ai fini par lui demander un jour s’il ne pensait pas que c’était autre chose qu’un simple caprice. Je formulais à haute voix mon doute de plus en plus profond en espérant qu’on me donnerait tord, mais non.. Je n’étais pas la seule à douter.

J’avais beau être médecin, sur le papier je ne savais pas grand chose de l’autisme et ce qui m’a permis d’avoir la puce à l’oreille était plutôt mon intérêt personnel depuis quelques mois déjà pour le développement cognitif et la santé mentale. J’ai la chance et le malheur d’être de ces personnes entières boulimiques de savoir qui passe d’un centre d’intérêt à l’autre et lorsqu’elles en ont épuisé un s’en lasse (sauf ceux vraiment ancré depuis l’enfance). Voila que cet intérêt me poussait à émettre un doute sur mon propre enfant. On ne veut pas y penser parce que ce que ça implique sera difficile, on pense aux problèmes d’éducation, aux quolibets de la société et surtout à notre impuissance. Les semaines passent et cela s’impose à nous.

La Traversée du désert

Le besoin de réponses oblige à la recherche de spécialistes. Mais où sont-ils donc? où aller et qui voir en premier?

Je lui ai fait faire une consultation psychiatrique chez un ainé en qui j’avais confiance. Il fallait bien commencer quelque part et surtout j’avais besoin d’entendre d’une voix autorisée que c’était moins grave que ce que je pensais. Voir un pédiatre ou un Neuropédiatre? oui, pourquoi pas, mais je ne voyais personne qui semblait aguerri sur la question et qui saurait me rassurer définitivement. Je vous laisse imaginer la détresse de ceux des parents qui n’ont aucune connaissance médicale ni informations en dehors éventuellement de voir un pédiatre. Il a évoqué une psychose infantile (souvent passagère) ou effectivement un trouble du développement, et ce fut le premier à m’orienter vers un Docteur en psychologie qui accompagnait depuis quelques années les enfants autistes (oui, il ne suffit pas d’être psychiatre ou psychologue clinicien pour être apte à évaluer ce type de cas). J’ai apprécié son humilité de dire que ce n’était pas son champs d’action, mais cela m’a fait réaliser à quel point le problème de trouver à qui s’adresser pouvait être profond.

Le chemin vers un « diagnostic » peut être très long et ardu, surtout en Afrique. Poser les mots est difficile car même les professionnels ont bien souvent du mal à étiqueter la personne qu’on leur emmène. Humainement et philosophiquement c’est superbe et rafraichissant de voir que la science peut avoir du mal à mettre des gens dans des cases. Mais ne pas savoir ce qui se passe implique de ne pas savoir comment accompagner ceux qui évoluent différemment de la majorité dans un monde qui n’a pas été conçu pour eux, et cela peut s’avérer problématique. Les réponses « définitives » aident bien souvent à savoir où mettre son énergie.

J’étais à la fenêtre de mon appartement lorsque j’ai appris que le tympanogramme (et les autres examens évaluant l’audition) était normal, le vertige comme au bord du précipice m’a envahit ce jour là, si la fenêtre du 6e étage n’avait pas un garde-fou qui sait si je ne serai pas tombée. Il n’était pas sourd; une bonne nouvelle qui signifiait qu’il entendait et aussi qu’il fallait chercher ailleurs l’origine de notre mal-aise.

Au final on a donc vu un ORL pour des examens spécialisés en vue d’éliminer une surdité (qui expliquerait le retard d’acquisition d’un langage plus élaboré), vu une psychologue clinicienne et fait passer des test d’évaluations multiples, avec les aspects: Langage/communication, motricité/coordination, envisagé un orthophoniste mais pas un psycho-motricien. Je suis devenue familière avec les instruments d’évaluation, me suis documentée sur les DSM-4 et 5 (google), ai fait des crises de paniques, mais jamais je n’ai nié la situation.

La beauté de la vie est justement que rien n’est noir et blanc ou fermé. L’évolution imprévisible est inhérente à la vie, c’est le cas pour tout et surtout des Troubles envahissants du développement et du comportement (TED).. Voilà! Pendant ce chemin on puise en nous, on affronte ses propres peurs et failles, on fait fit des questions et des regards de tiers ou on répond superficiellement, parfois malheureusement on ne dit rien de notre « charge mentale » à notre entourage voire on se cache des autres mais surtout de nous-même. Car c’est une chose de savoir déjà adulte comment naviguer dans cette vie et se préparer à la quitter, c’est une autre de se dire que « peut-être » notre enfant pourrait avoir besoin d’accompagnement toute sa vie et qu’il est possible qu’on ne soit plus là pour ça. Pire encore quand aucune infrastructure n’est mise à disposition, aucune reconnaissance de l’état, aucun accompagnement pour sortir du noir de l’ignorance, juste des images traumatisantes d’enfants rejetés par les familles ou mis au banc d’une société qui les traitent de tout sauf d’êtres humains. Après l’avoir fait à l’accouchement, il faut faire le deuil de l’enfant idéalisé une 2e fois… Les étapes de ce deuil peuvent être longs, très longs, parfois des années pour certains. Quand à moi, il m’a fallu un temps plus court, le temps qu’il dise « maman » autant qu’il disait « papy » (son seul mot jusqu’à lors).

Le Parcours du combattant

Personne porteuse d’un trouble du spectre autistique. Autiste verbal ou non-verbal. Porteur d’un syndrome associé ou pas. Plus il grandi et évolue plus on doute encore, c’est peut-être de l’hyperactivité (TDAH), une hypersensibilité aux aliments.. Tout sauf ce couperet définitif.

Mais voilà, il faut se retrousser les manches et chercher comment l’aider à mieux s’adapter au monde qui l’entoure. Il faut une équipe pluridisciplinaire avec des personnes formées, mais où sont-elles? où sont les moyens (financiers et sociaux) de payer les professionnels, d’accorder du temps supplémentaire à cela avec un salaire de catéchiste et des journées de 24heures?

Mon fils voyait sa pedo-psy normalement 3fois par semaine, elle lui faisait faire des exercices pour améliorer ceux des domaines où il avait le plus besoin d’aide. Sa communication et ses interactions sociales en utilisant des pictogrammes entre-autre; L’attention; L’identification et l’association des des formes et couleurs; Sa motricité fine, les objets ludiques comme les perles sont devenus notre dada à la maison. Elle nous a bien fait comprendre utilité d’un travail permanent et constant au domicile, adapté à son age et ses besoins. L’hyperactivité et l’absence de concentration prolongée sur les activités d’apprentissage qui ne l’intéressait pas ne rendaient pas les choses aisées. Il a fallu apprendre à jongler avec son attention sans perdre patience ni changer d’attitude et de ton. Mettre des lettres et des chiffres sur les murs pour la mémoire visuelle etc. J’ai vu grâce à lui de manière concrète ce que représentait pour les enfants les adultes qui les entourent. Les figures d’autorité étaient très claires pour lui: Avec la pedo-psy au cabinet on travaille, mais si sa grand-mère voulait lui faire refaire les exercices (comme enfiler des perles en bois sur un lacet, motricité fine) il n’adhérait pas du tout parce qu’elle est pour lui une figure maternante et aimante, pour ne citer que ça.

Alimentation. Si je parle de ça, vous direz que tout les enfants ont des phases et des choses qu’ils n’aiment pas, mais croyez moi, entre les repas rejetés pour leur texture et d’autres pour leur gout, le régime alimentaire possible peut se réduire drastiquement à peau de chagrin. On va s’abonner aux vitamines pour supplémenter son organisme et calmer notre crainte qu’il manque de quelque chose.

Je suis devenue une grande chercheuse, pour moi surement plus que pour lui: Les méthodes ABA, TEACCH, etc envahissaient mes pensées sans que forcément on soit en capacité ou en nécessité de les appliquer textuellement. Là j’ai véritablement compris le sens de l’expression « one child, one plan », toutes les interventions sont et ne peuvent qu’être individuelles et adaptées aux besoins de l’enfant en question. Dans la prise en charge le travail d’équipe est donc primordial et le parent devient l’acteur central de l’accompagnement de son enfant.

Mais voilà, mon fils a commencé véritablement à parler avec plus ou moins de fluidité. Le jour où sa pedo’psy nous fait comprendre qu’on pouvait l’inscrire comme prévu en pré’maternelle ca a été un moment pour moi sans commune mesure. Même si j’avançais dans l’inconnu j’avançais avec des repères désormais.

L’Acceptation

Un jour (après de nombreux mois) j’ai arrêté de voir trop de spécialistes, de chercher trop de réponses, de remettre en question les étiquettes: TED/TSA, Troubles de motricité-communication-sensibilité, guetter les 3-Dys (Dyslexie, Dyspraxie, Dysphasie), L’hyperactivité, Hypersensibilité, guetter tout! Le Syndrome D’Asperger a été évoqué et même cette possibilité qu’il soit un enfant à haut potentiel intellectuel ne m’intéressait plus vraiment. J’ai arrêté les étiquettes et j’ai cessé d’être un médecin pour être pleinement mère, pour être dans l’acceptation et la présence pleine et entière. Il y’ a qu’ainsi que j’ai pu découvrir le magnifique enfant que j’avais et le connaitre par cœur autant dans les silences que dans le bruit des phrases souvent décousues. A ce moment on transcende le chagrin de parent pour être dans la vie et l’enrichissement. La réalité est que la particularité est source de richesse au delà des doutes et de la peine, toutes les réussites sont accueillies avec joie. Malgré la peur, on voit le monde différemment (si ce n’est pas encore le cas) à travers ses yeux et on se voit nous. L’Amour inconditionnel.

Le mien m’a donc prouvé que certes l’autisme est chronique (une manière de fonctionner) mais il n’est pas statique. La surprise de la vie est qu’il a un autisme finalement léger: la parole, la finesse intellectuelle, le sens de l’observation, la sensibilité et la générosité font autant parti de lui que les soucis de coordination parfois dans certaines activités, une intolérance très variables à certains aliments.

Mais voila, c’est un spectre/un continuum, tous n’évoluent pas ainsi et comme chaque être humain ils ont leurs besoins particuliers. Dans le contexte d’une société africaine de moins en moins protectrice, d’indexation, de manque d’infrastructures, toutes les inquiétudes des parents se cristallisent en ces deux questions: l’enfant sera t’il capable d’autre autonome et autodéterminé? Comment et où vivra t’il quand je ne serai plus là dans un monde qui n’a rien prévu pour lui? La socialisation pour que le groupe ne te laisse pas sur le coté.

Le Spectre Autistique est très large. C’est donc avec un mélange de culpabilité, à cause des autres parents (que je lis, vois ou accompagne) pour lesquels les situations sont plus dramatiques, et de soulagement extrême que je me suis dis que j’ai de la chance qu’il évolue ainsi. Preuve que malgré la résilience rien n’est facile et on aimerait tous ne pas devoir passer par là.

«L’autisme va de quelqu’un aussi intelligent qu’Einstein à une personne incapable de parler et de s’habiller.

Professeure. Mary Temple Gradin (Autiste)

L’Amour et L’ingéniosité des parents

Des associations, des centres d’intégration, des écoles spécialisées, des formations, des maisons adaptées pour les adultes autistes, le plaidoyer auprès des autorités, la création d’un réseau (certes balbutiant) de parents et thérapeutes locaux (voire d’ailleurs)… Les parents au Cameroun et sur le continent Africain soulèvent des montagnes, retournent chaque pierre, se battent pour la dignité et le respect malgré leur peu de moyens. Certains parents changent de métiers ou choisissent d’arrêter de travailler quelques années, cela suscite parfois des vocations dans les métiers spécialisés et d »éducateurs. Pour beaucoup malheureusement il n’existe pas toujours de solutions de scolarisation ou de socialisation, quand les enfants ne sont pas abandonnés.

Combien de parents peuvent se permettre de prendre une pause de ce quotidien pour recharger les batteries? combien sommes nous à être disposés à prendre pour quelques heures ou jours un enfants jugé difficile pour permettre aux parents de reprendre des forces? Combien d’entre-nous faisons l’effort de les inviter avec nos propres enfants pour leur permettre de socialiser et à nos enfants d’intégrer que c’est ordinaire un enfant différent?

Comprendre et accepter « l’autre », c’est l’écouter sans a priori , c’est « entendre » sa différence et « rencontrer » son indicible richesse

Josef Schovanec (Autiste)

La vie enseigne toujours. Désormais je n’utilise plus le mot « handicap » à tord et à travers sans savoir de quoi il en retourne ou comment les concernés se voient même si leur témoignages sont rares. Je vous suggère pour le savoir de lire les livres de « personnes avec autisme » comme L’Américaine Temple Grandin « The Autistic Brain » ou le Français Josef Schovanec notamment son autobiographie « Je suis à L’Est » où il dit fort à propos: « il ne faut pas croire que les autistes ont des stéréotypies et que les non-autistes n’en ont pas. Les stéréotypies des personnes non autistes passent simplement pour naturelles, sont mieux acceptées socialement. » La lettre-témoignage de Julie paru dans le magasine Marie-Claire (seul 1e personne autiste sur 4 est une femme) ou enfin des blogueurs autistes dont vous pouvez trouver une liste sur la page de la Fédération Québécoise de L’Autisme. Un jour, je l’espère nous aurons des voix qui parleront depuis l’Afrique.

Plus que jamais je sais que la majorité n’a pas forcément raison, il en va de même pour la majorité de ceux qui se pensent normaux. Rien n’arrive pour rien et on a pas toujours la capacité de voir le tableau global mais ma façon d’appréhender la vie me préparait très certainement pour plusieurs choses dont celle-ci. J’ai appris très tôt que rien n’est figé, que la vie n’est pas linéaire elle n’est que nuances, que la réussite et la performance mais surtout le bien-être et le bonheur ne s’évaluent pas avec les critères que le modèle dominant nous a conditionné à croire et à rechercher souvent à tout les prix. Nous sommes les purs produits du marketing social et les êtres différents, purs et sensibles nous ramènent à ce que nous sommes vraiment et ne devons jamais cesser d’être: Des êtres humains.

Les neurotypiques (la majorité des gens) disent des neuroatypiques ou des personnes différentes qu’ils sont handicapés, mais qui est vraiment handicapé si ce n’est celui qui ne voit la vie que dans 2 dimensions?

Ses grand-parents ont toujours été confiants et je ne les remercieraient jamais assez ici et dans l’au-delà. On y arrive jamais seule.

Plus qu’une journée mondiale de sensibilisation, le 02 Avril devrait être une journée célébrant l’acceptation d’humains qui fonctionnent et perçoivent le monde différemment, car l’Autisme c’est ça. Un enfant différent n’est rien d’autre qu’un enfant qui voit la vie différemment.

Aujourd’hui j’apprécie l’être humain que j’ai mi au monde dans toutes ses subtilités. Et comme tout les parents j’espère pour lui et en lui car aussi exceptionnel qu’il soit, il est juste un être humain et moi juste une mère.

Ne vous inquiétez pas les maman et les papa, ça va aller…

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D’autres ressources:

Ca commence aujourd’hui: « Autisme : une vie de combats » diffusée le 02/04/2021 à 13h50 sur France 2.

Page Facebook d’une Association Camerounaise: L’Émotion de l’autisme.

TED2010 The world needs all kinds of minds, Temple Gradin

La comédie de la normalité: Josef Shovanec at TEDxAlsace

PS: Tout les textes surlignés ont un lien intégré pour plus de documentations ou informations

2 réponses sur “Vivre L’Autisme en Afrique”

  1. Je prends enfin le temps de te lire et je suis très touchée par ton parcours. C’est drôle de voir les similitudes dans le début du parcours. Mais ici on a pas beaucoup avancé, on ne parle toujours pas et on a toujours tout le mal du monde à communiquer. C’est sûr que dans nos pays d’Afrique les choses sont encore plus compliquées… grosses pensées pour les parents.

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